Jeanne André est née en 1989 à Asnières-sur-Seine, elle vit et travaille en Ardèche. Elle a étudié à l’ESAM de Caen. Elle est représentée par la galerie Cécile Dufay à Paris et par la galerie Red Fox à New York
expositions personnelles :
2022 «Flot» galerie Artem, Quimper
2017 « l’Ardèche à Saint Denis» Open Bach galerie, Paris XIII ème
2016 « apparition sauvage» espace d’art actuel le radar Bayeux
expositions collectives :
2025 "retour aux sources" Aponia, Le Monastier sur Gazeille
2022 « Des Astres» Le Celsius, Pré saint Gervais
2018 «cycles croisés» 6b, Saint Denis
résidence :
2024 résidence "coup de pouce" L'H du Siège, Valenciennes
prix
2024 finaliste du prix Mourlot
contact : jeanne.andre@hotmail.fr
TEXTES
Même pas peur
Il y a de l’enfance et de la vitalité chez Jeanne André. Une vitalité qui lui échappe et qu’elle attise : quelque chose d’ingénu et fort qui charge et nourrit sa création. Son énergie trouve à se peindre dans l’onctuosité d’un trait qui embrasse deux couleurs à la fois, en un mouvement non programmé. Parfois, une clarté vive émerge dans ce geste, en chair du tracé. Cette façon de peindre imprime son corps, dans une détermination et une hésitation équivalentes.
Au cours de sa résidence récente à L’H du Siège à Valenciennes, cette gourmandise de la chair-peinture s’est amplifiée, et déployée dans des motifs. La résidence a trouvé toute sa vertu : accueillir une artiste pour un temps de laboratoire, de recherche, qui l’aide à oser, à faire émerger de nouvelles formes, soutenues par le contexte. Pendant cette période, Jeanne André a mené des expériences sérieuses. Ou plutôt : elle a mené sérieusement des expériences. Et a su accueillir ce qui se présentait en l’incorporant à sa pratique en temps réel.
Elle a fait de la couleur une chair en la faisant absorber par la toile et le papier. Le tissu et la pâte à papier boivent la couleur, dans leur texture, pour devenir les surfaces qui reçoivent le dessin peint. Les espaces d’atelier lui ont permis de peindre en plus grand : d’abord dans un déploiement du geste rapide, en geyser multicolore, dans une joie éclatante et risquée. Puis dans la mise en forme de la toile elle-même, teintée et cousue pour créer des volumes.
Jeanne André a été vers des motifs de base : fleur, nuage, feuille, papillon, gouttes de pluie. La nature est là sous ses formes archétypales, comme dans les motifs médiévaux. Figures d’enfance qu’elle trace en une météorologie violente. Ses images circulent du carnet à la peinture, de la peinture au crochet, du crochet au carnet, etc. Les formes se testent ainsi : tantôt dans l’énergie de l’émergence, du trait initial, tantôt rejouées dans la mollesse de la laine, ou la raideur du papier mâché. Jeanne André invente un vocabulaire protéiforme, un alphabet organique à différentes phases. Elle ne hiérarchise pas les pratiques : la peinture, la couture et le crochet sont venues à se rencontrer. Il n’y a aucune posture d’ironie dans l’utilisation de ces pratiques désuètes. Bien au contraire : elle n’a pas peur d’être une mémé qui fait du crochet car elle n’y pense même pas. C’est ce qui l’en protège ? Il faut dire qu’elle en est loin. Et sa force est probablement de ne pas se poser cette question.
Elle a confectionné une taie d’oreiller de satin pour sa peau, et c’est de là que la couture a été vers la peinture : elle s’est mise à coudre des nuages et des formes informes (bosses, étoiles, montagnettes, petits fantômes ?) dans de la toile peinte. Certaines formes sont ensuite remplies de mousse et ressemblent alors, posées au sol, à une famille de doudous abstraits. Doudous pas doux parce qu’on voit la grosse trame de la toile, qui se durcit après avoir pris l’eau. Les nuages ne sont pas tous remplis de mousse : ils sont alors une dépouille plate, molle, en attente de ciel, ou désertée par définition. Elle les présente dans une mise en espace qui ne hiérarchise pas les présences : alors les objets discutent entre eux, sans être sûrs de parler la même langue.
Quelques mois après avoir quitté Valenciennes, Jeanne me dit qu’elle n’a pas peint depuis sa résidence : elle n’a fait que jardiner. Je pense à l’intensité de la résidence, dont il est difficile de revenir. Je pense aussi à l’analogie entre la peinture et le jardinage : l’émergence. La couleur. La surprise des formes. Voir apparaître, pousser, fleurir. Voir se faire. Voir changer. Voir les couleurs changer. Voir les fleurs prendre forme. Le lien est alors évident : la peinture de Jeanne André a poussé comme une plante, en s’éloignant de l’image, qu’elle a explorée minutieusement lorsqu’elle était plus jeune. Une image plus photographique, qui semble avoir été abandonnée au fil du changement de la représentation de la nature, devenue invasive, galopante, totalisante. Elle a envahi tout l’espace des peintures et les plantes se sont transformées peu à peu en gestes. Les végétations luxuriantes qui avaient habité sa peinture ont cédé leur statut d’images pour devenir des gestes qui lui échappent. Gestes vifs, gestes de vies, geysers, gestes nécessaires. Comme si le processus-même de la poussée de vie végétale et de la confrontation aux éléments (être sous le ciel, être sous l’orage, dans le spectre de la lumière) était désormais le moteur autant que le sujet.
Que serait une œuvre qui ne prendrait pas le risque de se faire dans la pulsion vitale précise de l’artiste ? Dans cette dimension, il y a les imprévus de la pousse : parfois une tomate prend la forme d’un cœur, ou une repousse sort à un endroit inopiné.
Claire Colin-Collin, septembre 2024
Ricochets
Ricochet. Faire des ricochets.
Le rebond du galet sur l’eau engendre des ondes.
Ondes qui se rejoignent et interagissent.
Les ondes qui se propagent sont déterminées par les caractéristiques des milieux traversés,
par la rencontre des éléments, par le geste, par la personne qui lance le caillou…
Les résidences, j’entends par là, celles qui sont propices à la réflexion, à l'expérimentation et à la création, sont des moment charnières pour les artistes. La résidence de recherche, dite résidence Coup de Pouce de L’H du Siège à Valenciennes en fait partie.
Lorsqu’on est en résidence, on séjourne bien souvent dans un nouvel environnement. À L’H du Siège, Jeanne André a été marquée, entre autres, par la lumière si différente de celle qu’elle côtoie en Ardèche. Une lumière du nord de la France. Une lumière hivernale. En réponse à cela, l’artiste s’est rapprochée de couleurs douces, aux teintes bleutées, rosées ; elle s’est rapprochée de couleurs du printemps.
Compte tenu de l’atelier qui lui était mis à disposition, Jeanne André a commencé par déployer ses gestes sur de grands formats. Si on retrouve certains mouvements déjà présents dans ses tableaux de plus petites dimensions, leurs rencontres sur la toile sont ici plus aérées. L’espace s’étire, les mouvements se déroulent au point d’être sinueux. Ils semblent suspendus, détachés du fond.
Un des atouts d’une résidence est de pouvoir plonger dans une bulle. “Se plonger dedans” au point que l’on est absorbé par nos pensées, par nos activités.
Ou bien l’inverse.
Ou plutôt les deux.
Au point que Jeanne André a souhaité que ses peintures soient également imprégnées de ce nouvel environnement dans lequel elle évoluait. On retrouve là son intérêt pour le sol, lorsqu’elle y applique dessus les surfaces de ses toiles ou de ses tissus glanés afin d’y transférer des traces. Ou encore lorsqu’elle les dépose à l’extérieur en “laissant libre cours à la nature”
. Par la suite, un temps de rencontre est nécessaire avant de pouvoir poursuivre ce que le “quatre mains” vient de faire advenir. L’artiste dessine alors des croquis dans un carnet avant de les peindre. Elle ne s’appliquera en aucun cas à les reproduire à l’identique, mais au contraire elle les exécutera rapidement afin de conserver la vivacité de son geste, sa spontanéité.
Dessiner des croquis est une des étapes de réalisation de ses peintures.
Comme l’est la préparation de leurs fonds.
L’esprit vagabonde, les idées prennent forme.
Comme le sont les moments où elle fait du crochet.
L’esprit vagabonde, des formes émergent.
Une résidence réussie c’est une bulle où l’esprit bouillonne, où l’on peut expérimenter. De ces formes cousues ou fabriquées en crochet, naissent des volumes, des installations qui se déploient au sol, de bas en haut, de haut en bas en lien- ou non- avec les peintures.
En regard. Tout en s’en échappant.
La matière se développe dans l’espace. L
’artiste, qui jusqu’à présent s’intéressait essentiellement au fourmillement du sol, nous projette également dans le ciel.
Un intervalle hors du temps où il est possible de lire des ouvrages que l’on avait mis de côté malgré le fait qu’ils soient importants à notre démarche, voilà encore un des points essentiels à une résidence. Ce fut le cas pour Jeanne André qui a pu lire “L’artiste et le vivant- Pour un art écologique, inclusif et engagé” de Valérie Belmokhtar aux éditions Pyramyd. Ce choix n’est pas anodin quand on connaît ceux de l’artiste qui alimente son lombricomposteur, prépare sa propre gouache, récupère des tissus sur lesquels elle peint ou qu’elle coud, etc.
Les titres sont toujours aussi évocateurs. Évocateurs lorsqu’on déniche parfois dans la peinture l’image qui lui a donné son nom (Crabe, Boucle, etc.). Évocateurs d’un moment pour Jeanne André dont elle est la seule à en avoir la clé.
Cette résidence à L’H du Siège, tout comme le ricochet, génère des projets. Projets qui, à l’instar des ondes, se rencontrent, s’accompagnent, se complètent, évoluent… Projets qui, à l’image d’un ricochet réussi, donnent le sourire et laissent libre cours à l’imaginaire.
Leïla SIMON, 2024